Toute servitude a ses limites, et aucune ne saurait priver le propriétaire du fonds servant de toute jouissance de sa propriété. Tel est l’enseignement à tirer de l’arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2019.
En l’espèce, une société avait vendu à un particulier un immeuble à usage d’habitation. Dans l’acte notarié, une clause avait été insérée afin de réserver au profit du vendeur l’occupation d’une pièce de l’immeuble objet de la transaction. Cette clause était expressément qualifiée de servitude.
Saisie d’un litige mettant en cause de nombreuses parties, la cour d’appel de Douai (département du Nord) a examiné la validité de cette servitude par un arrêt du 1er février 2018. Confirmant le jugement de 1ère instance, elle a constaté la nullité de la servitude au motif que celle-ci privait le propriétaire du fonds servant de toute jouissance sur une portion de son bien immobilier.
Un pourvoi en cassation a été introduit.
Par son arrêt du 6 juin 2019 (n° 18-14.547 et 18-15.386), la 3e chambre civile de la Cour de cassation a confirmé la décision d’appel en jugeant ainsi :
« Mais attendu qu’ayant retenu, d’une part, que, lors de la vente, les parties avaient entendu créer, de manière expresse et non équivoque, un service à la charge du fonds acquis par Mme W… et au profit du fonds voisin initialement conservé par la société P…, d’autre part, que la convention interdisait, compte tenu de la configuration des lieux, toute jouissance de la pièce objet de la clause par son propriétaire, la cour d’appel n’a pu qu’en déduire que la clause litigieuse avait institué une servitude dont elle a prononcé, à bon droit, la nullité ; »
En des termes moins abscons, il en ressort qu’une servitude ne peut interdire au propriétaire du fonds servant toute jouissance de son bien. Ainsi, nous atteignons ici les limites de l’objet d’une servitude.
Par exemple, si Mme Martin obtient de son voisin M. Dupont le droit de passer sur son terrain, la servitude ainsi créée ne pourra priver M. Dupont de la possibilité d’utiliser lui-même ce passage situé au sein de sa propriété.
En pure technique juridique, pour réserver au propriétaire du fonds dominant la jouissance exclusive d’une portion de bien immobilier, il convient de lui conférer un droit de jouissance spécial plutôt qu’une servitude.
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